À 25 ans à peine, Arthur Zang, un jeune ingénieur camerounais a déjà eu les honneurs de la presse locale et internationale. Son nom figure par exemple sur la liste des 30 entrepreneurs africains de moins de 30 ans les plus brillants établie l’an dernier par Forbes, le magazine américain dédié aux affaires. « En matière d’innovation, il représente ce qu’il y a de mieux en Afrique », notait Forbes. Arthur Zang a su répondre à un vrai besoin en inventant le Cardiopad, première tablette tactile médicale fabriquée en Afrique, qui devrait permettre de sauver de nombreuses vies notamment au sein de la population la plus démunie du Cameroun.
Diplômé de l’école polytechnique de Yaoundé, c’est au cours d’un stage à l’hôpital général de la ville effectué il y a trois ans, que le jeune ingénieur fait le constat suivant : le Cameroun ne recense alors que 30 cardiologues pour 20 millions d’habitants, répartis entre les deux principales villes du pays, Yaoundé – la capitale – et la ville portuaire de Douala. « Cela signifie que les patients qui vivent dans des villages éloignés sont obligés de prendre le bus pour réaliser leurs examens, ce qui pose non seulement un problème au niveau de leur suivi médical mais aussi au niveau économique car le transport accroît aussi leurs dépenses », explique-t-il.
À la demande du professeur Samuel Kingué, cardiologue à l’hôpital général de Yaoundé, Arthur Zang commence à réfléchir à une solution pour faire en sorte qu’un maximum de patients puissent être soignés par les rares cardiologues du pays. Il poursuit ses recherches en systèmes électroniques embarqués au laboratoire de polytechnique et, afin de parfaire ses connaissances en électronique numérique, il suit un programme d’enseignement gratuit à distance dispensé par le gouvernement indien.
C’est ainsi que le Cardiopad a vu le jour. La tablette médicale mise au point par Arthur Zang permet de réaliser des électrocardiogrammes (l’appareil est relié par des électrodes à la poitrine du patient) et de transmettre les résultats à distance au cardiologue. « Il s’agit d’une solution mobile et bon marché : nous comptons le commercialiser à 2 millions de Francs CFA (environ 4 000 dollars US), soit un coût deux fois inférieur à celui des appareils actuellement sur le marché », assure-t-il (l’appareil n’est pas destiné aux patients mais aux hôpitaux qui les prêtent aux patients).
L’Afrique doit investir dans la recherche
Après avoir développé le prototype du Cardiopad, Arthur Zang a reçu une aide de 30 000 dollars de la part du gouvernement camerounais qui a subventionné la recherche et permis au jeune ingénieur de créer Himore Medical, une petite entreprise qui emploie cinq personnes et dont la mission est de concevoir et fabriquer des appareils médicaux. « Nous avons déjà fabriqué une trentaine d’appareils et mettons au point actuellement une machine mobile qui permettra de faire des échographies à distance, si nous obtenons toutefois les financements nécessaires », précise le jeune homme.
Car, si au Cameroun, et au-delà des frontières de son pays natal, Arthur Zang est devenu une source d’inspiration pour des milliers de jeunes qui rêvent de changer la donne en Afrique, son parcours a été jalonné d’embûches. « La première difficulté pour les jeunes entrepreneurs, c’est le manque de soutien au moment où on en a le plus besoin », explique-t-il. Si Arthur a eu la chance d’obtenir une subvention du gouvernement camerounais, ce n’est qu’après avoir fait l’objet de plusieurs articles de presse.
« Pour financer mes recherches, je me suis d’abord tourné vers les banques mais elles me demandaient toutes sortes de garanties alors qu’à l’époque je n’étais qu’un simple chercheur à l’école polytechnique. Or, chez nous, la fonction de chercheur n’est pas reconnue. Vous êtes un peu considéré comme un chômeur car vous n’avez aucun revenu », précise-t-il. Son conseil aux jeunes inventeurs et entrepreneurs africains ? Faites preuve de persévérance. « En Afrique, très souvent, lorsque le projet devient un peu trop complexe les gens se découragent et des projets comme le Cardiopad ont tendance à émerger uniquement dans les environnements où la recherche est vraiment développée ce qui n’est pas le cas en Afrique », note-t-il.
Lorsqu’on demande au jeune inventeur s’il partage la vision souvent véhiculée par les médias d’une Afrique à l’aube d’une révolution technologique (du fait notamment des taux de pénétration du téléphone mobile), il répond : « J’ai quelques réticences par rapport aux personnes qui voient une révolution dans tout cela car, pour avoir vécu en Afrique, j’ai conscience que nous avons certes beaucoup d’atouts mais je crois aussi que les gens ont tendance à sous-estimer les freins à l’innovation : je pense notamment à la corruption et à l’absence d’investissements dans le domaine de recherche », explique-t-il.
« Tant qu’on ne comprendra pas en Afrique qu’être chercheur est un boulot à plein temps, l’Afrique ne se développera pas. Tant qu‘on ne comprendra pas que la recherche est un domaine absolument nécessaire et non pas optionnel, elle ne pourra pas décoller. Si chercheurs et hommes politiques ne parviennent pas à s’accorder sur ce sujet, la croissance sera factice car elle ne sera pas soutenue par quelque chose de viable », conclut le jeune inventeur du Cardiopad.